Parmi les différentes activités informelles occupant l’espace urbain que nous avons observé lors d’un premier repérage à Dakar (Sénégal) réalisé en juin 2010, le cas des sites résiduels occupés par des horticulteurs-commerçants est ressorti comme pouvant constituer un terrain particulièrement fertile pour développer de premières expérimentations pilotes. Cette observation – validée par nos discussions avec les intervenants locaux de l’IAGU (Oumar Cissé et Marie-Sophie Ndong, Institut africain de gestion urbaine) http://www.iagu.org/– se lie à une double constatation. On remarque d’abord que la constellation de sites résiduels occupés – sans statuts officiels – par ces horticulteurs informels forme un ensemble de petites zones très intenses de verdure qui contrastent fortement avec l’aspect relativement désertique du paysage urbain de Dakar. On constate d’autre part que la municipalité a beaucoup de peine à entretenir et maintenir en santé les espaces verts publics qui sont sous sa juridiction. Les sites occupés pour fin commerciale par les horticulteurs informels sont en fait beaucoup plus vert et entretenu que la plupart des espaces publics gérés par la Ville, qui tendent généralement à se dégrader rapidement par manque d’entretien et de ressources. Dans cette perspective on voit mal comment l’administration pourrait arriver à augmenter un réseau d’espaces verts déficient, si elle arrive déjà peu ou très difficilement à maintenir en état les espaces qui composent actuellement ce réseau. En rapport à ce constat, la piste évoquée plus tôt d’un partenariat entre acteurs formels et informels mérite d’être explorée. En d’autres termes, plutôt que d’ignorer ou de stigmatiser les horticulteurs informels, le pouvoir municipal pourrait les reconnaître comme des partenaires actifs, pour bénéficier ainsi en retour de l’apport complémentaire de leurs actions et de leur expertise. Mais comment marquer concrètement et spatialement cette hypothèse de symbiose partenariale, par quel vecteur véhiculer in situ ce potentiel partenariat?
Les sites résiduels occupés sans autorisation officielle par les horticulteurs informels se caractérisent par un étalage concentré de différentes séries de plantes en pots. À l’instar des myriades de commerçants et travailleurs informels qui à Dakar peuplent l’espace urbain avec des dispositifs simples, mobiles ou déplaçables – chariots, écrins portables, tables, etc. – les horticulteurs exploitent de façon pragmatique le potentiel d’une accumulation variable de pots pouvant être déplacés au gré des besoins.
Notre hypothèse est qu’un dispositif de même nature pourrait s’incorporer à cet agencement malléable, profitant des conditions agréables générées par les horticulteurs tout en ouvrant le milieu à d’autres possibilités d’usages complémentaires. Le dispositif en question serait constitué d’un agencement de quelques éléments mobiliers générant un petit espace public de socialisation incorporé au « jardin » de pots des horticulteurs. Ce dispositif léger, mobile et potentiellement multipliable – à l’instar des éléments mobiliers utilisés par les acteurs informels de Dakar – marquerait à la fois de façon signalétique et concrète une symbiose entre la sphère publique et l’ « art de la débrouille » de l’activité commerçante informelle. En d’autres termes, nous proposons un dispositif spatial et mobilier comme marque visuelle et usagère signalant d’une part, une forme d’intégration au système urbain municipal, puis facilitant, respectant et complétant d’autre part, la pratique mise en œuvre par les horticulteurs informels dans leur site. Le développement et l’expérimentation in situ de cette hypothèse sous forme de prototype vise à tester et présenter l’intérêt potentiel d’une approche ultralégère de l’urbanisme face à la problématique – ou ressource – de l’informel dans une ville comme Dakar. Par delà le contexte particulier des villes du Sud, c’est aussi une autre perspective sur les stratégies d’aménagement de nos villes occidentales qu’une telle expérimentation peut modestement alimenter.
La problématique, dans un tel contexte, est moins d’encourager l’occupation, que de proposer des dispositifs pouvant contribuer à marquer des interfaces plus constructives entre une dynamique d’occupation informelle incontournable et le système urbanistique formel que tente de développer une administration municipale aux moyens limités. L’enjeu ici ne se situerait pas tant dans une formalisation de l’activité informelle qui dynamise la ville, que dans l’imagination de vecteurs de partenariat ou de symbiose entre acteurs formels et informels. C’est dans cette perspective que s’inscrit notre proposition de recherche-création à Dakar. Notre hypothèse est qu’un mode ultraléger d’intervention comme celui du dispositif mobilier peut contribuer à l’élaboration concrète de vecteurs prototypes s’inscrivant dans cette voie de symbiose partenariale.
Cartographie des sites d’occupation horticoles existants et potentiels dans la commune Fann / Point E / Amitié à Dakar : imaginer un réseau lié à un partenariat entre la commune et des horticulteurs ayant développé leur propre expertise pour verdir la ville.
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Basés en résidence à Dakar au centre RAW (Raw Material Company) pour la durée du projet, www.rawmaterialcompany.org.
Développement d’un prototype en métal plié et soudé avec pare-soleil en utilisant des pneux usagés et le sable comme sous-structures, ressources abondantes dans Dakar.
> Mobilier, conception : SYN-, Jean-Maxime Dufresne et Luc Lévesque, en collaboration avec Omer Diompy, technicien supérieur, Lycée technique industriel Maurice-Delafosse, Dakar
> Mobilier, réalisation : Menuiserie métallique – Omer Diompy avec Lamine Faye, Djidy Thiam, Aboubacry Kâ, Joachim Nankassa Kabou ; bâche – Yatma N’dlaye ; peinture – Amadou Lamine Thiam
Prototype avec feuilles d’acier de 3mm pliées et sections métalliques soudées, entièrement démontable, avec pare-soleil intégré et incliné pour récupérer l’eau de pluie pour des plantes au centre.
Application d’une peinture verte pour une signalétique forte
Configurations possibles du prototype
20 juillet 2011 : première insertion du prototype sur un site horticole existant rue Aimé-Césaire au rond point de la Corniche, suivant une entente avec M. Badiane, technicien horticole, microentreprise «Jardin Hortensia».
Travail de signalétique urbaine réalisé par l’Atelier Louis-Charles Lasnier
Projet réalisé avec le soutien financier du programme de bourse de recherche-création en architecture du Conseil des Arts et des Lettres du Québec